Cet article a été publié initialement dans l'(e)Bulletin de l’ICA.
D’un bout à l’autre du pays, on enregistre une augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, lesquels se traduisent par des coûts financiers et sociaux plus élevés pour les propriétaires d’habitation, les communautés, les gouvernements et les entreprises du Canada afin de remédier aux dommages associés au climat. Les inondations sont devenues les catastrophes naturelles les plus répandues au pays. Un document de recherche publié récemment par le Centre Intact d’adaptation au climat (Centre Intact), intitulé Surmonter la tempête : Élaborer une norme canadienne pour rendre les zones résidentielles existantes résilientes face aux inondations, présente une analyse, des solutions, ainsi que des pratiques exemplaires visant à réduire les risques d’inondation.
Les changements climatiques : déjà une réalité
« Les risques associés aux changements climatiques se manifestent déjà », affirme Natalia Moudrak, directrice du programme d’adaptation des infrastructures au Centre Intact. « Et la situation ne va pas s’améliorer. Il s’agit de nouveaux risques que les professionnels se doivent de mieux comprendre. »
Fondé en 2016, le Centre Intact est un centre de recherche appliquée ayant une visée nationale, hébergé par la Faculté de l’environnement de l’Université de Waterloo. « Notre mandat consiste à étudier des solutions d’adaptation aux changements climatiques afin de protéger les Canadiens des risques associés aux phénomènes météorologiques extrêmes et de réduire les dommages matériels », affirme Mme Moudrak.
Pourquoi les inondations?
Publié en janvier 2019, le rapport Surmonter la tempête fait partie d’une suite de documents produits par le Centre au sujet des risques d’inondation. Mme Moudrak explique que dans un rapport publié par le Bureau d’assurance du Canada (BAC) en 2016, on indique que les « règlements de sinistres [en assurance de dommages] attribuables aux conditions météorologiques extrêmes ont plus que doublé tous les cinq à dix ans depuis les années 1980 ». Elle insiste sur le fait qu’il s’agit de pertes assurables. Selon le BAC, les pertes économiques totales pourraient être de trois à quatre fois plus élevées pour les gouvernements, les propriétaires d’habitation et les propriétaires d’entreprise.
« Nous nous sommes interrogés quant aux facteurs responsables de cette tendance », dit-elle, « et nous avons découvert qu’elle était attribuable à de trop grandes quantités d’eau au mauvais endroit, au mauvais moment. Depuis 2009, plus de 50 % des augmentations des pertes assurables étaient attribuables à des dommages causés par l’eau. Nous avons décidé d’étudier la résilience aux inondations, laquelle affecte des Canadiens de partout au pays. »
Modernisation des collectivités existantes pour favoriser la résilience aux inondations
Tandis que le premier document de recherche intitulé Prévenir les catastrophes avant qu’elles ne surviennent présente des pratiques exemplaires aux fins de la conception de nouvelles communautés résidentielles plus résilientes aux inondations, Surmonter la tempête étudie l’élaboration de normes en matière d’atténuation des inondations pour les communautés existantes du Canada.
On y présente des façons de rendre des maisons et des communautés existantes résilientes aux inondations, notamment en procédant à l’installation de clapets anti-retour, de pompes de puisard et d’alimentation de secours pour ces dernières. Toutefois, il pourrait s’avérer ardu de convaincre les gens de procéder à ces changements.
« Croyons-nous que les propriétaires d’habitation téléchargent des rapports pour les lire le dimanche après-midi? », demande Mme Moudrak. « La participation des propriétaires d’habitation aux programmes de subventions existants en matière d’atténuation des inondations est généralement inférieure à 10 % au Canada. Il ne suffit pas de recenser les risques. Comment convaincre les propriétaires d’agir? ».
Élaboration de normes canadiennes
Tout comme les rapports de recherche précédents portant sur les inondations, Surmonter la tempête se veut un document initial qui servira de base à l’élaboration d’une future Norme nationale du Canada, subventionnée par le Conseil canadien des normes.
L’Association canadienne de normalisation se sert déjà du rapport Prévenir les catastrophes avant qu’elles ne surviennent aux fins de l’élaboration d’une nouvelle Norme nationale du Canada (CSA W204). D’ici le mois d’octobre 2019, il sera possible de certifier de nouveaux lotissements homologués comme étant résilients aux inondations conformément à cette norme.
« Certains assureurs offrent un rabais de cinq à 10 % sur les primes d’assurance habitation visant des bâtiments situés dans des communautés résilientes aux inondations », affirme Mme Moudrak. « Cela favorise l’adoption de la norme, notamment chez les promoteurs de projets d’habitation, les constructeurs d’habitation et les municipalités. »
Une nouvelle formation en matière de risques d’inondation est également offerte depuis l’automne 2018 aux inspecteurs d’habitations dans des collèges de l’Ontario grâce au Home Flood Risk Assessment Training (formation sur l’évaluation des risques d’inondations de domicile) conçu par le Centre. Ce cours s’adresse aux inspecteurs d’habitations agréés du Canada, mais une version abrégée sera bientôt offerte aux courtiers en assurances, en immobilier et aux courtiers hypothécaires qui estiment que la formation relative aux risques d’inondation apporte une valeur pour leurs clients.
« Le rapport Surmonter la tempête représente une lecture indispensable pour tous les actuaires », affirme Odile Goyer, membre de la Commission sur les changements climatiques et la viabilité (CCCV) de l’ICA et vice-présidente, développement des affaires et réassurance, chez Optimum Général. « Il fournit une compréhension détaillée et pratique des risques et des coûts des inondations au Canada et de leur atténuation. Ce rapport peut donc aider les actuaires en assurances IARD à mettre en place d’excellents produits d’assurance contre les inondations, la tarification de ces produits, ainsi que des programmes de prévention des sinistres, tout en aidant les actuaires œuvrant dans les autres domaines de pratique à comprendre les conséquences des risques d’inondation et des changements climatiques sur leurs propres produits (assurance-vie, santé, hypothèques, etc.). De plus, ce rapport fournit un bon point de départ afin de prioriser les investissements visant l’adaptation aux changements climatiques des communautés. Ayant l’expertise nécessaire pour développer des analyses coûts/bénéfices à long terme, évaluer les risques et possibilités, et calculer le rendement des investissements, il n’y a aucun doute que les actuaires auront un rôle important à jouer dans l’analyse de ces enjeux de société. »
Anna Marie Beaton, également membre de la CCCV et actuaire en assurances IARD chez Co-operators, est d’accord. « Ce rapport constitue une excellente base pour comprendre les facteurs et les influences de notre environnement construit et des systèmes sociaux et politiques qui rendent les communautés vulnérables aux dégâts d’eau. Dans ce contexte, on souligne l’importance croissante des données et de la science géospatiale (SIG) au sein de l’industrie de l’assurance. Presque tous les facteurs énumérés dans le document sont de nature spatiale. »
Le prochain thème
Le prochain thème étudié par le Centre visera les incendies et la chaleur urbaine. Mme Moudrak indique que les répercussions des feux de forêt pourraient affecter 11 millions de Canadiens[i] au cours de la prochaine décennie : pas seulement les incendies en tant que tels, mais les problèmes liés à la qualité de l’air dans les zones adjacentes aux zones de danger immédiat. De plus, en raison du nombre croissant de jours de chaleur accablante de plus de 30 degrés Celsius, particulièrement en zone urbaine, les groupes de personnes vulnérables, par exemple les enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes d’une maladie chronique, risquent particulièrement d’en souffrir : difficultés respiratoires, crampes de chaleur, épuisement, coups de chaleur, voire décès[ii].
Selon Environnement Canada, « d’ici 2050, on estime que les chaudes journées d’été où les températures dépassent la barre des 30 °C seront quatre fois plus fréquentes qu’aujourd’hui »[iii]. À Toronto, on prévoit que le nombre de jours pendant lesquels l’indice humidex dépasse les 40 °C sera multiplié par quatre[iv]. Le service de la santé publique de Toronto a fixé à 26 o C la température-seuil souhaitable à long terme pour la santé à l’intérieur[v]. Or, à Toronto, seulement 6 % des logements sont dotés de climatiseurs, et ce seuil sera fréquemment dépassé si l’on se fie aux projections ci-dessus. « Nous voulons établir les pratiques exemplaires qui permettent de réduire la chaleur urbaine, notamment le verdissement des rues et l’offre d’aires de rafraîchissement intérieures et extérieures », affirme Mme Moudrak.
« Nous attendons avec impatience cette nouvelle recherche et ses conclusions », a déclaré Mme Goyer, « car les changements climatiques augmenteront la fréquence et la gravité des feux de forêt et des vagues de chaleur, ce qui aura des impacts sociaux importants et augmentera les coûts relatifs aux incendies, à la santé, aux maladies et à la mortalité. »
Demeurer au courant
Les risques associés au climat touchent tous les secteurs de l’économie. Les travaux et recherches que le Centre Intact a menés et prévoit mettre en œuvre pourraient aider le gouvernement, les entreprises et les particuliers à s’adapter à ces risques et à les atténuer.
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[i] Peter, Brian. Wang, Sen. Mogus, Tony et Wilson, Bill., Fire Risk and Population Trends in Canada’s Wildland–Urban Interface, 2006, pp. 33–44.
[ii] https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/sante-environnement-milieu-travail/rapports-publications/changement-climatique-sante/changements-climatiques-sante-bulletin-adaptation-numero-1-novembre-2009-revise-novembre-2010-sante-canada-2009.html
[iii] http://publications.gc.ca/collections/collection_2008/hc-sc/H128-1-08-528F.pdf
[iv] www.toronto.ca/wp-content/uploads/2018/04/982c-Torontos-Future-Weather-and-Climate-Drivers-Study-2012.pdf
[v] www.toronto.ca/legdocs/mmis/2018/ls/bgrd/backgroundfile-114428.pdf