Par Mary Stock, FICA, et Trudy Engel, FICA, membres de la Commission des rapports financiers des compagnies d’assurance-vie de l’ICA
Le monde a connu des pandémies dans son histoire (grippe espagnole, grippe asiatique, grippe de Hong Kong, etc.), mais le virus de la COVID-19 est le pire de l’histoire récente, non seulement à cause de sa virulence, mais aussi en raison de sa transmissibilité. Pour atténuer l’incidence d’une propagation rapide du virus sur les systèmes de soins de santé, les gouvernements du monde entier ont réagi par des mesures sans précédent. Nous avons changé fondamentalement notre manière de vivre et de travailler. Ces changements ont mené à une crise économique mondiale.
Les mouvements sur les marchés économiques au cours du premier trimestre de 2020 ont été très importants. Les rendements des obligations types du gouvernement canadien à 2 ans et des obligations à long terme ont diminué de 127 points de base et de 44 points de base, respectivement, les écarts de crédit des obligations ont augmenté considérablement et l’indice composé TSX s’est replié de 21,6 %.
Les articles précédents portaient sur des considérations relatives à la mortalité, à la morbidité et aux comportements des détenteurs de polices. Cet article aborde quelques considérations clés liées au processus d’établissement d’hypothèses économiques au cours de cette période sans précédent et présente quelques documents de l’ICA intéressants à consulter.
Considérations relatives aux hypothèses économiques
L’impact de la COVID-19 sur l’économie est sans précédent et le niveau d’incertitude sur les marchés va probablement se maintenir alors que les pays tentent de redémarrer leurs économies dans le contexte d’une seconde vague et de la production éventuelle de vaccins et de traitements efficaces.
Étant donné l’incertitude au sujet de la reprise économique, de sa nature et de sa durée, voici quelques facteurs à considérer pour établir les hypothèses économiques.
Éléments d’actif à revenu fixe – écarts de crédit
- Comme lors de la crise économique de 2008, les écarts de crédit ont augmenté à mesure que l’incertitude économique augmentait. Dans les scénarios de la méthode canadienne axée sur le bilan (MCAB), les écarts de crédit actuels reviendront aux écarts historiques sur cinq ans, ce qui limite l’impact de ces écarts supérieurs sur le niveau du passif. L’écart de crédit net maximal promulgué à long terme, de 80 points de base, continue à s’appliquer selon le paragraphe 2330.08 des Normes de pratique. Alors que nous entamons une nouvelle normalité, on pourrait s’attendre à ce que les écarts de crédit actuels diminuent, bien que cela dépende du moment et de la portée de la reprise économique. L’actuaire tiendrait compte du potentiel de risque accru de dépréciation de l’actif ainsi que de la liquidité (et de la disponibilité) moindre(s) des actifs qui peuvent être associés à des écarts de crédit supérieurs.
- L’actuaire peut vouloir tenir compte des conséquences sur le niveau de la marge appliquée aux écarts de crédit.
- Les banques centrales ont réagi à la crise en abaissant les taux d’intérêt tandis que les gouvernements procurent un allègement économique au moyen de stimuli fiscaux, ce qui crée des niveaux d’endettement inégalés. Les cotes de crédit de certaines obligations provinciales pourraient être abaissées. Nul ne sait encore à quoi ressemblera la reprise économique ni combien de temps elle durera. Le monde redeviendra-t-il ce qu’il était avant?
- Que signifie l’incertitude accrue pour la dépréciation des éléments d’actif à revenu fixe? L’actuaire tiendrait compte des conséquences à court et à long termes sur le portefeuille d’actifs à revenu fixe, y compris des décotes éventuelles. À court terme, nous continuerons probablement à subir de la volatilité, mais à long terme, les effets sont plus difficiles à prévoir. L’actuaire peut vouloir tenir compte des conséquences à court et à long termes sur les hypothèses fondées sur la meilleure estimation et sur le niveau de marge appliqué à l’hypothèse de dépréciation de l’actif.
Éléments d’actif à revenu fixe – exercice des options des emprunteurs et des émetteurs
- L’actuaire serait attentif aux répercussions éventuelles que les bouleversements économiques actuels et futurs de la COVID-19 peuvent avoir sur la façon dont les emprunteurs et les émetteurs exercent leurs options sur les actifs à revenu fixe et tenir compte de telles répercussions sur les flux monétaires prévus.
Taux d’intérêt négatifs
- En réaction à l’incertitude économique relative aux répercussions mondiales de la COVID-19, les banques centrales ont diminué les taux d’intérêt, certains taux dans les marchés développés sont négatifs. Les rendements des obligations types du gouvernement canadien ont continué de décliner après le 31 mars 2020, s’établissant respectivement à 30 points de base pour les obligations à 2 ans et à 111 points de base pour les obligations à long terme[1]. L’incertitude entourant la reprise économique pourrait causer une baisse supplémentaire des rendements. Comme il est mentionné dans la section 4 de la note éducative Conseils en matière d’évaluation du passif des contrats d’assurance pour les assureurs-vie pour l’année 2018, la construction des scénarios MCAB demeure appropriée même si les taux d’intérêt sans risque initiaux sont négatifs.
- La section 4.1 de la note éducative révisée de 2015 Hypothèses de placement utilisées dans l’évaluation du passif des contrats d’assurance de personnes abordait l’élaboration des scénarios de taux d’intérêt. Voici un extrait de cette section : « En élaborant des scénarios déterministes, l’actuaire fixerait à 1 point de base les taux d’intérêt à terme négatifs ou nuls. » Dans le cadre des nouveaux conseils à fournir dans la note éducative Conseils en matière d’évaluation du passif des contrats d’assurance pour les assureurs-vie pour l’année 2020, le plancher de 1 point de base n’est plus considéré comme approprié.Actions privilégiées
- La valeur marchande des actions privilégiées a diminué considérablement. L’actuaire peut vouloir examiner les répercussions sur la modélisation associées aux types d’actions privilégiées détenues. Par exemple, la modélisation des dividendes d’actions privilégiées à taux rajusté pourrait entraîner des répercussions assez importantes sur le passif si les dividendes étaient liés à des taux sans risque.
Actifs à revenu non fixe
- Les marchés boursiers restent volatils, avec des pertes initiales importantes dans les principaux indices boursiers. D’autres actifs à revenu non fixe comme les fonds de revenus pétroliers et gaziers, les fonds d’infrastructures, etc., subissent aussi de la volatilité dans leurs valeurs au marché. Il est attendu que les valeurs au marché actuelles se reflètent sur l’évaluation, l’impact sur le passif de ces changements ne serait habituellement pas identifié comme un changement de base.
- L’actuaire peut vouloir tenir compte de l’impact sur la meilleure estimation ainsi que sur le niveau des marges des hypothèses de revenu et de croissance des actifs à revenu non fixe.
- À mesure que l’incertitude économique due à la COVID-19 se maintiendra, quelle en sera l’incidence sur la juste valeur des diverses catégories d’actifs à revenu non fixe et quelles seront les conséquences correspondantes sur le passif?
- Les entreprises recourent maintenant au télétravail si elles en ont la possibilité. Est-ce qu’un plus grand nombre d’entreprises conserveront le télétravail à long terme, ce qui mènerait à une demande inférieure dans le secteur immobilier commercial et à une réduction potentielle des valeurs du marché immobilier? Le report des versements hypothécaires résidentiels et le chômage accru auront-ils pour effet de diminuer la valeur de ces actifs?
- Quelles seront les répercussions de la situation économique actuelle sur la liquidité de différentes catégories d’actifs à revenu non fixe? L’actuaire pourrait prendre en considération toute incidence éventuelle sur les hypothèses de réinvestissement.
- L’actuaire examinerait les diverses catégories d’actifs à revenu non fixe appariées au passif, et être conscient que certaines catégories sont plus touchées que d’autres, ce qui pourrait changer selon l’évolution de la situation économique.
Produits de fonds distincts
- Le déclin sur les marchés boursiers mondiaux aurait pour effet de diminuer les valeurs des fonds, ce qui rétrécirait l’« écart net » pour ces produits. Par conséquent, certains produits seront plus proches des cours ou dans les cours, ce qui ferait grimper les coûts de garantie prévus. L’impact dépendra de si l’entreprise a ou non un programme de couverture. Si une stratégie courante de couverture delta/rhô a été utilisée, cela a probablement produit des pertes en raison de l’extrême volatilité des marchés, principalement au cours des dernières semaines de mars. Cela pourrait être considéré comme un scénario de simulation de crise réelle de ces programmes de couverture, et l’actuaire pourrait s’en servir pour examiner l’efficacité de la couverture utilisée dans son évaluation. Des occasions d’amélioration du rendement de la couverture pourraient aussi être décelées.
Produits d’assurance-vie universelle
- Le repli des marchés mènera à une diminution des valeurs des fonds, ce qui réduira la valeur actuelle de l’« écart net » sur ces produits et, par ricochet, augmentera le passif. Si une approche de couverture a été employée pour déterminer le niveau d’actifs supportant le passif, l’impact ne sera peut-être pas aussi important.
- Les détenteurs de polices peuvent choisir de transférer des fonds dans des véhicules d’investissement « plus prudents », surtout ceux qui comportent des garanties minimales. L’actuaire surveillerait le risque associé à ces garanties minimales.
Produits d’assurance avec participation et produits ajustables
- L’actuaire prendrait en considération l’impact de l’environnement économique actuel sur les produits d’assurance avec participation et sur les produits ajustables. Les facteurs à prendre en compte peuvent comprendre notamment les attentes raisonnables des titulaires de polices, les garanties minimales de taux d’intérêt et les garanties implicites sur les produits avec participation.
Possibilité de recouvrer des sommes auprès des réassureurs
- L’actuaire prendrait en considération la possibilité de déclassement des sociétés de réassurance en raison des importantes répercussions économiques négatives de la COVID-19, si la crise se prolonge, et les incidences possibles sur la possibilité de recouvrer des sommes auprès des réassureurs.
- Pour le moment, le risque lié au recouvrement de sommes auprès des réassureurs, dû à la mortalité et à la morbidité accrues découlant de la COVID-19, ne devrait pas être important.
Bien que nous ayons plus de questions que de réponses à ce stade-ci, ce sont là quelques éléments que les actuaires seraient encouragés à analyser et à passer en revue lorsqu’ils évalueront la pertinence des hypothèses économiques utilisées lors de l’évaluation.
Les considérations exposées ci-dessus s’appliquent à la formulation d’hypothèses économiques au Canada. D’autres considérations peuvent s’appliquer à la formulation d’hypothèses économiques pour les entreprises dans d’autres pays.
Publications de l’ICA portant sur les hypothèses économiques
Les actuaires sont invités à relire les publications suivantes de l’ICA :
- Paragraphe 2330.08 concernant les écarts de crédit, dans la sous-section 2330 des Normes de pratique.
- Paragraphe 2330.13 concernant les considérations à utiliser pour l’établissement de scénarios des taux d’intérêt pour les placements non libellés en dollars canadiens, dans la sous-section 2330 des Normes de pratique.
- Paragraphes 2340.04 à 2340.08 qui abordent les facteurs influant sur l’hypothèse de dépréciation de l’actif pour les éléments d’actif à revenu fixe, dans la sous-section 2340 des Normes de pratique.
- Paragraphes 2340.12 à 2340.14 qui abordent les facteurs influant sur l’hypothèse des écarts de crédit pour les éléments d’actif à revenu fixe, dans la sous-section 2340 des Normes de pratique.
- Paragraphes 2340.15 à 2340.20 qui abordent les facteurs influant sur le rendement des placements pour les éléments d’actif à revenu fixe, ainsi que les marges correspondantes, dans la sous-section 2340 des Normes de pratique.
- Paragraphes 2340.09 à 2340.11 qui abordent les considérations permettant de refléter l’exercice des options de l’emprunteur et de l’émetteur pour les éléments d’actif à revenu fixe dans les flux monétaires prévus, dans la sous-section 2340 des Normes de pratique.
- Section 4 de la note éducative révisée Hypothèses de placement utilisées dans l’évaluation du passif des contrats d’assurance de personnes qui porte sur les facteurs pris en compte pour formuler des hypothèses de placement pour les éléments d’actif à revenu fixe et à revenu non fixe.
- La note éducative Hypothèses de rendement des placements pour les éléments d’actif à revenu non fixe pour les assureurs-vie qui aborde les facteurs pris en compte pour formuler des hypothèses de rendement des éléments d’actif à revenu non fixe.
Les autres documents portant sur les hypothèses économiques et sur la MCAB sont énumérés à l’Annexe A : Conseils de l’ICA dans la note éducative Conseils en matière d’évaluation du passif des contrats d’assurance pour les assureurs-vie pour l’année 2019.