Le comportement de la prochaine génération de travailleurs âgés sera différent. Il faut discuter comment changer les paramètres de la retraite pour s’adapter à ces changements.
Par Michel St-Germain, FICA, et Krystel Lessard, FICA
Le monde a bien changé dans les dernières années et le concept de retraite aussi. Le comportement de la prochaine génération de travailleurs âgés sera différent. Il faut dès maintenant discuter de la façon de changer les paramètres de la retraite pour s’adapter à ces changements. En tant qu’actuaires, nous sommes bien placés pour participer à la discussion sur l’adaptation du système de retraite au Canada.
Qu’est-ce que la retraite? Plusieurs imaginent qu’il s’agit de travailler à temps plein jusqu’à un certain âge et cesser de travailler du jour au lendemain, être en santé, et avoir accumulé une rente ou des revenus suffisants pour subvenir à ses besoins et même profiter de la vie.
Cependant, pour d’autres, la nature du travail ou la santé ne permettent pas de continuer de travailler jusqu’à un âge permettant d’accumuler les revenus souhaités. De plus, plusieurs envisagent de réduire leurs heures et leur niveau de stress, plutôt que de cesser de travailler à temps plein. On observe déjà un changement chez les travailleurs de 55 ans et plus. Un récent sondage de Statistique Canada montre que plus de la moitié d’entre eux différeraient la retraite s’ils pouvaient réduire leurs heures de travail ou le stress, physique ou mental, associé à leur travail.
L’âge de la retraite est-il toujours pertinent aujourd’hui?
La date normale de retraite de 65 ans a été établie dans les années 60 lorsque l’espérance de vie à cet âge était de 10 ans suivant le départ à la retraite. Elle est maintenant de 20 ans et pourrait continuer d’augmenter. Plusieurs pays, dont les Pays-Bas, l’Angleterre, les États-Unis et le Japon, ont commencé à s’adapter à ce changement et ont ajusté à la hausse l’âge normal de la retraite après 65 ans, contrairement au Canada.
Le marché du travail change!
Pour changer le climat de retraite, il faut d’abord se pencher sur le marché du travail.
Depuis la pandémie, nous nous sommes adaptés au télétravail; ce mode de travail ou sa version hybride sont là pour rester. Cela permet de réduire le stress quant aux heures de travail et offre ainsi plus de flexibilité dans les horaires. Nous avons constaté que plusieurs travailleurs peuvent travailler de la maison avec des heures flexibles, et que d’autres recherchent des relations contractuelles avec un client plutôt qu’un emploi salarié à temps plein. Voilà la flexibilité que les travailleurs âgés recherchent.
« Depuis 2000, les travailleurs âgés demeurent sur le marché du travail plus longtemps. Le taux de participation des hommes entre 65 et 69 ans a doublé, passant de 15,5 % à 33,8 %. Celui des femmes a triplé, passant de 7,1 % à 23,6 %. »
Avec la pénurie de la main-d’œuvre, qui est l’une des principales préoccupations actuelles des employeurs, ces taux de participation continueront d’augmenter et se rapprocheront de ce que nous observons dans bien d’autres pays.
Le type d’emploi a aussi changé. Depuis 1976, le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier au Canada a baissé de 100 000 et celui dans les services a augmenté de près de 10 000 000. Ces changements vont continuer. Plusieurs prédisent que la prochaine génération de travailleurs occupera des postes qui n’existent pas encore. Les nouvelles technologies continueront de changer le travail, bien que nous ignorions les effets de l’intelligence artificielle. Le travailleur typique passera son temps devant un ordinateur qu’il peut utiliser partout. L’effort physique est de moins en moins une raison fréquente de prendre sa retraite. Les travailleurs du secteur des services peuvent aussi facilement utiliser les nouvelles technologies pour travailler de la maison plus longtemps.
Comment définir un nouveau concept de retraite?
Comment garder les travailleurs motivés à travailler plus longtemps? Est-ce que l’intelligence artificielle peut aider? Faudrait-il faciliter la réduction des heures de travail à l’approche de la retraite? Leur proposer de changer d’emploi vers la fin de leur carrière? Proposer de nouvelles tâches facilitant le transfert de connaissances? Qu’en est-il de leur santé? Toutes ces questions doivent faire évoluer les mécanismes de retraite, qui tiennent compte de plusieurs facteurs.
Nous reconnaissons que les besoins varient selon les individus. Certains, en particulier les personnes vivant avec un handicap, les couvreurs, les policiers, les pompiers, le personnel infirmier, pour n’en nommer que quelques-uns, peuvent ne pas être en mesure de continuer à travailler à un âge plus avancé. Il faudrait dans ces cas faciliter le transfert à un autre emploi ou développer des programmes de retraite cibles. Enfin, les travailleurs intellectuels peuvent continuer après 65 ans en profitant des nouvelles technologies tout en aidant à amoindrir la pénurie de la main-d’œuvre.
Voici quelques points que nous proposons pour lancer les débats :
Adapter les régimes de retraite à prestations déterminées (PD) et le cadre législatif
Les grands régimes de retraite PD ne sont pas adaptés aux conséquences négatives de la pénurie de main-d’œuvre et continuent d’inciter les employés à prendre une retraite anticipée en offrant des avantages de retraite anticipée, tel qu’une rente non réduite avant 65 ans et parfois même une rente de raccordement payable jusqu’à 65 ans. Bien sûr, certains emplois plus exigeants continueront d’exister, avec le besoin de quitter plus tôt. Les avantages de retraite anticipée demeurent alors pertinents.
Les travailleurs qui désireraient néanmoins retarder leur retraite voient un désavantage à le faire, car ils perdent la valeur des avantages de retraite anticipée. Faut-il revoir ces incitations et comment les revoir? Ces incitations sont déjà financées par des cotisations annuelles dans les régimes de retraite. Si l’objectif est de conserver les travailleurs plus longtemps, les sommes versées par les employeurs pour ces incitatifs pourraient être utilisées d’autres façons, peut-être à l’extérieur du régime de retraite, pour faciliter le maintien au travail.
« Les régimes PD devraient-ils davantage inciter les travailleurs à demeurer sur le marché du travail à un âge plus avancé, et ce, même s’ils travaillent à temps partiel? La société devrait débuter cette réflexion dans le but d’apporter des modifications législatives facilitant cet objectif. »
On peut penser à quelques façons de faire évoluer le cadre législatif pour permettre plus d’options à la retraite et inciter les travailleurs à demeurer plus longtemps à l’emploi :
- Pour les régimes offrant une rente sans réduction avant 65 ans, par exemple à 60 ans, on pourrait imaginer que la rente pourrait être augmentée pour chaque année de report après 60 ans. Présentement, une telle valorisation de la rente n’est permise qu’après 65 ans. Les travailleurs voient donc moins d’incitatifs à demeurer à l’emploi après l’âge auquel ils ont droit à une rente sans réduction.
- On pourrait imaginer qu’une rente de raccordement, au lieu de devoir se terminer à 65 ans en vertu des dispositions législatives actuelles, pourrait se continuer jusqu’à 75 ans. Les travailleurs qui ont accès à un régime PD auraient moins l’impression de perdre des avantages en retardant leur retraite et seraient plus enclins à demeurer à l’emploi.
Et les mesures fiscales touchant la retraite?
Faut-il mieux coordonner les nombreuses mesures fiscales pour les travailleurs âgés, incluant le taux de récupération du Supplément de revenu garanti pour s’assurer qu’elles incitent bien au maintien en emploi et contribuent à réduire la pénurie de main-d’œuvre?
Les règles de retrait des fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR) devraient-elles enfin changer pour retarder le début après 71 ans et permettre des versements plus bas pour contrer le risque de vivre longtemps?
Continuer de faire évoluer les régimes publics et mieux informer
De grandes réflexions ont été faites dans la dernière décennie sur le Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime de rentes du Québec (RRQ). Celles-ci ont mené à de grands changements, comme la mise en place du Régime supplémentaire de rentes et d’autres mesures comme la possibilité pour les rentiers de ces régimes de cesser d’y cotiser à compter de 65 ans et le report de l’âge maximal où la rente peut être demandée à 72 ans pour le RRQ.
Par exemple, faut-il être plus dynamique dans la promotion du report des rentes de la Sécurité de la vieillesse, du RPC/RRQ jusqu’à 75 ans et dans la stratégie de l’utilisation du capital retraite avant de demander ces rentes?
Nous constatons que trop de Canadiens et de Canadiennes choisissent de recevoir leur rente du RPC/RRQ à 60 ans. Faut-il proposer des façons de mieux informer la population et de mieux la conseiller, ou retirer cette option avec des mesures pour protéger les plus vulnérables?
Ce débat ne sera pas facile. Si on retient en exemple la France, lorsqu’une hausse de la date de retraite normale a été proposée et a paralysé le gouvernement qui peinait à convaincre la population que les projections de coûts étaient crédibles. Au Québec, une proposition de modifier l’âge minimal pour recevoir la rente du RRQ à 60 ans, avec une hausse à 62 ans sans réduction de prestations, a dû être retirée suite aux pressions de plusieurs groupes qui souhaitaient des mesures pour protéger les plus vulnérables.
Nous savons que modifier le RPC et le RRQ ne se fait que très rarement. Cependant, dans notre nouveau contexte social, il est nécessaire d’entamer des réflexions qui doivent reposer sur une analyse crédible. Les actuaires sont des experts dans le domaine de la retraite et ont la crédibilité pour participer à ce débat.
Les employeurs sont-ils prêts à changer de perspective?
Plusieurs grands employeurs sont toujours réticents à promouvoir le maintien en emploi des travailleurs plus âgés. Ils préfèrent continuer à attirer et retenir les plus jeunes, craignant que les plus âgés ne veuillent pas partir, et ne veulent pas adapter l’environnement du travail à la flexibilité que ceux-ci recherchent. Ces craintes sont légitimes, mais peuvent être résolues, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.
« En conclusion, il est clair que le paysage de la retraite évolue rapidement et que nous avons un rôle central à jouer pour façonner son avenir en tant qu’actuaires. La prochaine génération de travailleurs âgés a des besoins et des aspirations différentes, et nous devons adapter nos systèmes de retraite en conséquence. »
Il est temps d’engager une conversation plus large avec des parties prenantes de tous les horizons : décideurs politiques, employeurs, syndicats, universitaires, travailleurs et grand public. Nous devons tous ensemble repenser le concept de retraite en tenant compte de facteurs tels que la santé, la flexibilité et les besoins individuels.
Partagez cet article avec tous ceux et celles qui pourraient bénéficier de ces connaissances et faites-nous part de vos réflexions dans les commentaires ci-dessous.
Au sujet de l’auteur et l’auteure
Michel St-Germain, FICA, est un ancien président de l’ICA. Il a été partenaire et expert-conseil en retraite chez Mercer pendant plus de 40 ans.
Krystel Lessard, FICA, est une experte-conseil en régimes de retraite chez Aon.
Cet article présente l’opinion de l’auteur et l’autrice et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.