Par les FICA Robert Berendsen, Bernice Lim, Narissa Dedhar et Roxane Veillette
Les assureurs qui fondent leurs rapports sur les Normes internationales d’information financière (IFRS) ont été appelés à appliquer la norme IFRS 17, Contrats d’assurance pour les périodes annuelles de présentation de l’information financière débutant au plus tôt le 1er janvier 2023. La mise en œuvre d’IFRS 17 exigeait une approche différente de l’examen de la santé financière (ESF), qui est un outil de gestion des risques utilisé par les assureurs pour évaluer leur position prévue en matière de capital et de solvabilité, habituellement sur un horizon de trois à cinq ans. L’ESF comprend la simulation de crise applicable à la situation financière d’un assureur selon divers scénarios, ce qui permet à la direction de comprendre les répercussions de son plan d’affaires sur le capital et de se renseigner sur les expositions importantes aux risques.
Dans cet article, nous analysons l’incidence d’IFRS 17 sur l’ESF et la façon dont cette norme se compare à l’ESF effectué selon l’IFRS 4, et nous examinons comment les assureurs peuvent s’ajuster à ces changements.
Cet article suppose une certaine connaissance de la pratique actuarielle au Canada et il porte principalement sur les activités d’assurance canadiennes évaluées selon le modèle général d’évaluation (MGE). Cependant, bon nombre des principes abordés pourraient s’appliquer à d’autres administrations et types d’activités d’assurance.
Conception et présentation de scénarios défavorables
La conception du scénario de base de l’ESF devrait rester essentiellement inchangée selon l’IFRS 17. Dans des circonstances normales, l’adoption d’une nouvelle norme comptable ne devrait pas influer sur le point de vue de l’assureur au sujet des sinistres futurs attendus et de la situation du marché. Toutefois, si un assureur modifiait ses priorités stratégiques ou ses pratiques de gestion des risques à la suite du passage à l’IFRS 17, ces changements seraient pris en compte dans le scénario de base de l’ESF.
Il importe de préciser que la gravité d’un scénario défavorable doit reposer sur la répartition des pertes inhérentes, et non sur la façon dont un régime comptable ou de capital donné présente ces résultats dans le temps. Ce qui constitue un résultat de mortalité défavorable au 90e centile ou une variation défavorable des taux d’intérêt au 95e centile, par exemple, repose uniquement sur les distributions perçues de ces facteurs de risque. Le rôle de l’ESF consiste à évaluer l’incidence de ces résultats défavorables des facteurs de risque dans l’optique des régimes comptables et réglementaires de capital en vigueur.
« Le nouveau régime d’IFRS 17 modifie l’optique dans laquelle les scénarios défavorables sont examinés. »
Les chocs financiers (par exemple, les variations défavorables des taux d’intérêt ou des marchés boursiers) sont susceptibles d’influer davantage sur le revenu et les ratios de capital de l’assureur en vertu d’IFRS 17 que d’IFRS 4. Dans bien des cas, les chocs défavorables non financiers seront absorbés par la marge sur services contractuels (MSC) et auront donc peu d’incidence sur les produits à court terme selon l’IFRS 17; toutefois, étant donné que la MSC est considérée comme du capital disponible aux termes du régime de capital canadien, l’effet sur la MSC affectera quand même immédiatement les ratios de capital.
Le changement d’optique met en lumière au moins deux considérations importantes :
- La MSC comme mesure clé. Selon l’IFRS 4, les rapports sur l’ESF portaient habituellement sur les répercussions relatives aux bénéfices nets et aux ratios de capital, et aux transferts de capital s’il y a lieu. Bien que celles-ci soient toujours pertinentes, en vertu d’IFRS 17, il est également important de tenir compte de l’incidence sur la MSC afin de comprendre le contexte complet d’un scénario défavorable.
- L’évolution de la sensibilité des indicateurs clés d’un assureur pour chaque type de risque. Par exemple, l’évaluation du passif d’assurance est plus indépendante de l’évaluation de l’actif en vertu d’IFRS 17 qu’elle ne l’était selon l’IFRS 4; par conséquent, les risques de marché pourraient gagner en importance dans l’analyse de l’ESF. Ces types de changements peuvent avoir une incidence sur les risques jugés les plus importants à analyser et à inclure dans les rapports sur l’ESF. Les choix de politiques comptables d’un assureur en vertu d’IFRS 17 joueront également un rôle dans les sensibilités relatives, par exemple, si les produits sont présentés selon la méthode des frais variables (MFV) ou la MGE, et si l’option des autres éléments du résultat global (AERG) est choisie pour les charges financières d’assurance; ces options auront une incidence sur la volatilité des produits dans des conditions économiques défavorables et pourraient donc influer sur le choix des scénarios défavorables inclus dans le rapport sur l’ESF.
Dans l’ensemble, la conception d’un scénario défavorable qui examine un risque donné ne devrait pas changer à la suite du passage à l’IFRS 17, mais on s’attend à ce que les risques et les scénarios dont l’inclusion est prioritaire dans le rapport d’ESF changent en raison de l’évolution des sensibilités, et à ce que les mesures utilisées pour présenter les résultats soient mises à jour.
Mettre l’accent sur la rentabilité des nouvelles polices
Les assureurs devraient déterminer comment ils rajusteraient leurs prévisions au chapitre des nouvelles affaires (notamment le volume et la composition) en vertu du nouveau régime comptable. Par exemple, certains assureurs subiront des pertes plus importantes au titre des nouvelles affaires en raison du report des bénéfices découlant des contrats rentables en vertu d’IFRS 17, ce qui pourrait influer sur la tarification ou la stratégie de conception des produits. Il serait important de discuter de ces considérations avec les équipes chargées de la tarification et de la gestion des produits dans le cadre du processus d’ESF.
« La modélisation des nouvelles polices est maintenant plus compliquée en vertu d’IFRS 17. Les nouvelles polices doivent être attribuées à différents groupes de rentabilité, selon la politique de regroupement de l’assureur, sur une base individuelle ou au moyen d’une carte thermique fondée sur les caractéristiques de risque. »
Certains assureurs peuvent envisager de simplifier la modélisation de leurs nouvelles polices en compensant la MSC et l’élément de perte (EP) des nouvelles polices selon l’importance relative de la MSC/EP des nouvelles polices à la comptabilisation initiale. D’autres pourraient examiner des approximations comme l’estimation préalable de la proportion des nouvelles polices déficitaires par rapport aux polices non déficitaires plutôt que d’effectuer une modélisation dynamique. Quoi qu’il en soit, il est important de revoir l’application de la logique de regroupement dans chaque scénario défavorable dans l’éventualité où la rentabilité pourrait être touchée.
Habituellement, les projections des nouvelles polices pour les groupes déficitaires devraient être semblables en vertu d’IFRS 17 et d’IFRS 4, car les pertes sont comptabilisées immédiatement dans les bénéfices nets, tandis que les groupes de polices rentables subiraient des répercussions différentes sur leur bénéfices nets en raison de l’établissement de la MSC aux termes d’IFRS 17, ce qui reporte les bénéfices sur la durée du contrat.
Voici d’autres considérations relatives à l’IFRS 17 pour les nouvelles polices :
- Contrats de réassurance détenus. Bien que les nouveaux contrats de réassurance détenus soient moins importants du point de vue des produits (puisque ce type de contrat peut avoir une MSC négative), l’IFRS 17 exige qu’ils soient également répartis entre les contrats générateurs de pertes et les contrats générateurs de bénéfices. Les contrats de réassurance doivent également être modélisés séparément des contrats d’assurance, ce qui diffère d’IFRS 4.
- Périmètres des contrats. Quelle proportion des « nouvelles polices » prises en charge appartiendrait aux groupes existants (dans des cas comme les conversions de polices d’assurance vie entière et les avenants ajoutés aux produits existants) plutôt qu’à de « nouveaux » groupes (comme les polices véritablement nouvelles)?
La conciliation du passif devient plus détaillée
La conciliation du passif d’année en année est l’une des exigences les plus complexes d’un ESF selon l’IFRS 17, et il s’agit d’un changement important par rapport à l’IFRS 4. En vertu d’IFRS 4, le passif établi à chaque fin d’exercice projeté était complexe et dépendait des actifs de l’assureur et de leur asymétrie évolutive par rapport aux passifs, mais il avait la simplicité d’être modélisé de façon globale et souvent nette de la réassurance. En vertu d’IFRS 17, la conciliation du passif, bien que maintenant distincte du portefeuille d’actifs de l’assureur, doit être beaucoup plus détaillée: flux de trésorerie d’exécution distincts de la MSC, contrat d’assurance distinct de la réassurance, distinction entre les modifications apportées aux hypothèses financières et celles visant les hypothèses non financières, suivi des gains/pertes actuariels, tout cela au niveau du groupe selon l’IFRS 17.
Selon la plateforme de modélisation actuarielle utilisée, il est possible d’obtenir une partie ou même la totalité des ventilations pour la conciliation des passifs, ce qui réduit considérablement le fardeau des outils externes utilisés pour calculer explicitement ces éléments. Toutefois, la plupart des plateformes de modélisation ne disposent pas encore de la capacité de projection de la MSC, ce qui peut exiger le recours à un outil distinct. La complexité de ces outils dépend des exigences de l’assureur; par exemple : « La MSC/l’élément de perte/l’élément de recouvrement des pertes sur les contrats de réassurance sont‑ils importants? », « Comptent‑ils à la fois des polices d’assurance et des contrats de réassurance? », « Les polices sont‑elles évaluées selon la MGE, la MFV ou la méthode de répartition des primes (MRP)? », etc.
Il existe également de nombreux éléments théoriques à concilier en vertu d’IFRS 17, dont éventuellement l’élément de perte (EP), l’élément de recouvrement de perte sur les contrats de réassurance détenus (ERPCRD) et les frais d’acquisition non amortis, résumés ci‑dessous :
- La conciliation de l’EP est un élément de présentation de l’état des résultats qui peut être négligeable, mais il peut devenir plus important dans le cadre de scénarios défavorables où les changements des résultats peuvent entraîner le passage de groupes entre l’EP et la MSC. L’EP est important si un assureur examine précisément les produits des activités d’assurance et des charges afférentes aux activités d’assurance séparément; toutefois, si un assureur ne prévoit pas souscrire un montant important de polices déficitaires, cette conciliation peut être simplifiée ou entièrement escamotée.
- L’ERPCRD a une incidence directe sur la MSC de la réassurance détenue et, par conséquent, sur le revenu; à l’instar de la conciliation de l’élément de perte, celle-ci peut être simplifiée ou escamotée si elle est négligeable.
- De même, le recouvrement et l’amortissement des frais d’acquisition liés aux nouvelles polices n’influent pas sur le résultat net des assureurs, mais sur les postes individuels de l’état des résultats.
Des scénarios défavorables ajoutent une autre couche de complexité à la conciliation des passifs. Les répercussions de l’évolution des résultats sur la MSC (en raison de la survie ou de changements d’hypothèses non financières) doivent être chiffrées aux taux bloqués pour les polices avec MGE en vertu d’IFRS 17. L’impact des primes réelles par rapport aux primes prévues, des flux de trésorerie liés aux primes et des composantes d’investissement doit également faire l’objet d’un suivi pour être transféré à la MSC. Voici d’autres éléments à prendre en compte dans les scénarios défavorables :
- La possibilité que la MSC soit effacée et devienne un élément de perte.
- La mesure de l’impact d’une survie défavorable sur la MSC (cela peut être particulièrement difficile, car le facteur « prévu » reprendra chaque période de présentation de l’information financière à mesure que prendront forme les résultats réels).
- La prise en compte des changements d’hypothèses à divers moments au cours de la période de projection.
L’impôt est inévitable, mais les provisions pour impôts futurs ont changé
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a adapté les règles de l’impôt sur le revenu à l’intention des assureurs pour tenir compte des changements apportés aux normes comptables par l’IFRS 17. Les deux principaux éléments à prendre en compte aux fins de l’ESF sont les suivants :
- La non‑déductibilité de la MSC : Bien que, pour de nombreux assureurs, la provision actuarielle maximale aux fins de l’impôt soit essentiellement la même que celle applicable au passif selon l’IFRS 4, en vertu d’IFRS 17, 90 % de la majeure partie de la MSC est non déductible, ce qui crée un écart temporaire entre les réserves actuarielles fiscales et les passifs correspondants des états financiers, et un actif d’impôts futurs (AIF) connexe.
- Les règles de transition : Cette règle répartit progressivement le changement de la réserve actuarielle fiscale maximale associée au passage d’IFRS 4 à l’IFRS 17 sur cinq ans. Les assureurs auront un AIF connexe ou un passif d’impôt futur (PIF) selon que le passif d’après l’IFRS 17 est supérieur ou inférieur à celui calculé selon l’IFRS 4 au début de la transition.
Pour de nombreux assureurs, l’AIF aura augmenté en raison de la non‑déductibilité de la MSC. Cela peut avoir d’autres répercussions sur le capital, étant donné que le montant de l’AIF qui peut être inclus dans le capital disponible est limité et que les montants ainsi inclus créent une exigence additionnelle pour risque de crédit de 25 % des montants inclus. Si ces répercussions sont importantes, les assureurs devraient examiner les effets sur les besoins actuels ou futurs en capital dans les scénarios de l’ESF.
Impacts d’IFRS 17 sur l’examen de la santé financière
Dans l’ensemble, l’IFRS 17 a changé l’optique dans laquelle nous percevons les résultats des assureurs. Ce changement modifie la sensibilité des assureurs aux risques par rapport à ce qu’elle était en vertu d’IFRS 4. Par ailleurs, ce résultat influe sur les facteurs de risque qui exigent le plus l’attention, sur les scénarios défavorables inclus dans les rapports de l’ESF et sur la façon dont les résultats de l’ESF sont présentés et expliqués.
Sur le plan technique, l’exécution de l’ESF est plus difficile en vertu d’IFRS 17 que d’IFRS 4, en grande partie en raison de la nature plus détaillée du calcul du passif selon l’IFRS 17. La MSC ajoute un élément distinct qui influe sur le calendrier des bénéfices nets et des impôts, qui joue sur les ratios de solvabilité et qui devient une nouvelle mesure clé de performance. Par conséquent, les outils existants utilisés dans les analyses de l’ESF doivent être modifiés et augmentés en fonction des nouvelles exigences et des nouvelles réalités.
Bien qu’il faille tenir compte de l’importance relative et reconnaître que des approximations peuvent être appropriées, l’effort requis pour mettre à jour ces outils afin de produire des projections fiables pour l’IFRS 17 peut être important.
Cet article présente l’opinion de ses auteurs et auteures et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA. Il a été publié initialement sur le site Web d’Oliver Wyman et sa diffusion ainsi que des modifications mineures ont été approuvées par les auteurs et auteures.