Cet article a été publié initialement dans l'(e)Bulletin de l’ICA.
Par Trevor Howes, FICA
Le présent article est une version abrégée d’un article technique publié le 5 février 2020. L’article complet est disponible par l’entremise du Blogue de l’IFRS 17 réservé aux membres (connexion requise) et sur le site Web de l’ICA.
La norme IFRS 17, Contrats d’assurance, qui devrait entrer en vigueur en 2022 pour les assureurs canadiens, présente des approches fondamentalement nouvelles en matière de méthodologie, d’hypothèses, de présentation de l’information et de communication. Toutefois, la profession doit aussi évaluer l’impact éventuel au‑delà des considérations pratiques de la simple conformité à la norme IFRS 17. Cet impact touche l’autorité globale de l’actuaire et les conseils professionnels qu’il doit suivre pour choisir la méthodologie et les hypothèses utilisées dans l’évaluation, ainsi que le rôle plus vaste de l’actuaire, tel qu’il est établi par la loi canadienne et par les cadres réglementaires fédéraux et provinciaux correspondants.
Avant l’adoption des IFRS au Canada, la profession comptable canadienne et les organismes de réglementation reconnaissaient que la profession actuarielle avait pour responsabilité première de déterminer la méthode d’évaluation et l’approche à l’égard des hypothèses nécessaires pour garantir la suffisance des provisions techniques, qui étaient utilisées à la fois pour les états financiers publics audités et les rapports réglementaires. Cette évaluation unique à double fin est reconnue depuis longtemps comme une force exclusive du cadre réglementaire canadien.
À l’heure actuelle, les normes de pratique actuarielle (NP) canadiennes comprennent des conseils qui couvrent non seulement l’évaluation proprement dite, mais aussi le libellé approprié de l’opinion à utiliser pour rendre compte de cette évaluation et décrire le rôle de l’actuaire dans l’évaluation. Ce libellé véhiculait de solides messages au sujet de la conformité de l’actuaire à la pratique actuarielle reconnue, y compris des énoncés précis au sujet de la sélection d’hypothèses et de méthodes pertinentes, du fait que l’évaluation prévoit des provisions suffisantes pour toutes les obligations liées aux polices et que les états financiers présentent fidèlement les résultats de l’évaluation.
Un dilemme pour la profession
La profession actuarielle canadienne est maintenant confrontée à un dilemme. En vertu de la norme IFRS 17, l’actuaire devra, pour la première fois, effectuer une évaluation en vertu de laquelle la méthodologie et l’approche à l’égard des hypothèses, ainsi que le cadre comptable global qui sous‑tend les états financiers, seront contrôlés par un tiers indépendant, l’International Accounting Standards Board (IASB). Ainsi, la norme IFRS 17 impose à l’évaluation des principes comptables qui n’ont pas été conçus explicitement du point de vue de la suffisance, du moins selon la compréhension des actuaires au Canada.
Toutefois, le rôle officiel de l’actuaire désigné au Canada, tel qu’il est défini dans la Loi sur les sociétés d’assurances (LSA), nécessitera encore un rapport et probablement une opinion standard sur les résultats de l’évaluation, de même que des opinions relatives à d’autres composantes du rôle de l’actuaire. En outre, la LSA exige encore que l’évaluation du passif des polices soit conforme à la pratique actuarielle reconnue. Ainsi, il convient répondre à des questions fondamentales sur la façon de maintenir ce rôle multidimensionnel historique en vertu de la norme IFRS 17 et, de façon plus urgente, sur l’interprétation de la responsabilité de l’actuaire à l’égard du passif total des polices, compte tenu de ces changements.
Les recommandations du groupe désigné
Pour répondre à ces questions, un nouveau groupe désigné (GD) a été mis sur pied en 2018 par le Conseil des normes actuarielles (CNA) du Canada. Ce groupe a pour mandat d’examiner les conseils existants sur les responsabilités de l’actuaire désigné/responsable de l’évaluation au Canada (c.-à-d., tenir compte des entités fédérales et québécoises réglementées, qu’il s’agisse de sociétés d’assurances de personnes ou d’assurances IARD), et de cerner et recommander les changements nécessaires dans la foulée de l’adoption de la norme IFRS 17.
Le GD a conclu que l’actuaire ne pouvait justifier une opinion professionnelle au sujet de la suffisance du montant total du passif des polices calculé en vertu de la norme IFRS 17 sans procéder à un test indépendant et important à chaque date de présentation de l’information. Toutefois, il est également d’avis que l’actuaire peut jouer un rôle utile à la fois dans l’information financière à fournir et dans la satisfaction des attentes des organismes de réglementation en ce qui concerne la protection de la solvabilité en ajustant son opinion pour mettre l’accent sur l’objet de la présentation de l’information financière dans le cadre de l’évaluation en vertu de la norme IFRS 17 et en renforçant adéquatement les conseils professionnels liés aux autres composantes du rôle prévu par la loi.
Un exposé-sondage en 2020
Le GD a maintenant recommandé une déclaration d’intention dans le but d’examiner les NP et de préparer d’autres changements touchant certaines sections des normes de pratique canadiennes qui se rapportent au rôle de l’actuaire et la façon dont il est communiqué au public, et le CNA l’a approuvée. Un exposé‑sondage sur les modifications apportées aux NP à la suite des travaux du GD est prévu d’ici le milieu de l’année 2020.
Il importe que les actuaires désignés/responsables de l’évaluation au Canada soient au courant de l’orientation prise par le GD telle qu’elle est énoncée dans la déclaration d’intention, et qu’ils formulent des commentaires et une rétroaction, s’il y a lieu, au sujet de la déclaration d’intention et des nouvelles normes qui en découlent.
Bien que l’incidence finale de la norme IFRS 17 ne soit pas encore précise, il est certain que de nombreux éléments seront modifiés en vertu de cette nouvelle norme comptable et que l’actuaire devra assurément travailler en étroite collaboration avec les professionnels de la comptabilité pour produire des états financiers de qualité, en intégrant les nouveaux paradigmes de présentation tout en répondant aux exigences croissantes de communication détaillée. Parallèlement, l’actuaire continuera de jouer un rôle essentiel pour rassurer le public et les organismes de réglementation au sujet du risque d’événements futurs incertains, de la suffisance de l’excédent de la société pour atténuer ces risques et des moyens possibles pour y parvenir. En tant que profession, nous devons chercher à comprendre comment ce rôle peut être soutenu adéquatement dans le cadre de la norme IFRS 17.
Trevor Howes, FICA, est vice‑président du Groupe désigné sur l’impact de la norme IFRS 17 sur le rôle de l’actuaire désigné/responsable de l’évaluation.
Cet article reflète l’opinion de l’auteur et il ne représente pas une position officielle de l’ICA.