Par Joséphine Marks, FICA, présidente du Conseil des normes actuarielles.
« Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter. » Cette citation pourrait d’abord nous faire penser au film « Le jour de la marmotte », mais elle vient en fait du philosophe hispano-américain George Santayana, auteur de plusieurs citations dignes de mention. Dans l’optique de ce thème, examinons un peu l’histoire du processus d’établissement des normes actuarielles pour notre profession au Canada et son influence sur la création et les obligations permanentes du Conseil des normes actuarielles (CNA).
Le CNA a vu le jour en 2006 après que l’ICA ait entrepris un examen de la gouvernance. Cette année-là avait été marquée par la Morris Review au R.-U., une enquête gouvernementale sur la société d’assurance Equitable Life qui avait failli s’effondrer. L’enquête a révélé plusieurs problèmes au sein de la profession actuarielle au R.-U., dont son isolement, son manque de transparence et l’influence d’intérêts commerciaux profondément enracinés. Les recommandations ont engendré la création d’un organisme distinct, chargé de superviser la profession et d’établir des normes actuarielles de manière indépendante.
La profession actuarielle canadienne a procédé de manière résolue et proactive en formant le CNA qui fut structuré pour être indépendant de l’association professionnelle (l’ICA). Au même moment, le Conseil de surveillance des normes actuarielles (CSNA) fut fondé et chargé d’exercer une surveillance indépendante du processus d’établissement des normes du CNA. D’autres changements ont été apportés en 2020 pour accroître le rôle du CSNA qui fut rebaptisé Conseil de surveillance de la profession actuarielle (CSPA), mais qui conserve la surveillance indépendante du processus d’établissement des normes.
À titre de présidente du CNA, j’aimerais définitivement affirmer que nous avons atteint notre objectif avec brio. Or, je mets la profession en garde puisque, comme je le soulignais en ouverture, si nous n’apprenons pas continuellement du passé, nous risquons d’en répéter les erreurs. Et ce, même si les professionnels canadiens ont pu les éviter jusqu’ici.
Premièrement, sommes-nous trop isolés? Les meilleurs actuaires sont sans doute des personnes avec une grande culture générale et une bonne éducation qui ont élargi leur horizon au-delà des questions purement actuarielles. Cependant, nous avons parfois la mauvaise habitude, même au sein de la profession, de nous déclarer actuaires spécialisés dans un domaine. Par conséquent, le CNA s’occupe, entre autres, d’inciter les membres à participer à toutes les discussions et à poser des questions pointues lorsqu’un sujet n’est pas dans leur zone de confort (c’est-à-dire en dehors de leur zone de pratique habituelle). Assurer un dialogue constant avec les parties prenantes et comprendre leur point de vue sont deux autres missions importantes du CNA.
Deuxièmement, sommes-nous transparents? La majorité de la documentation du CNA est accessible au public, comme les normes et les procès-verbaux. Cependant, on nous dit souvent que « le monde normal » se fiche un peu de notre travail, alors qu’il s’en soucie probablement plus qu’on le croit. Un membre du CSPA nous a raconté qu’il avait récemment surpris une conversation entre deux amis dans un bar. L’un d’eux expliquait à l’autre que la valeur de son régime de retraite risquait de varier s’il cessait d’y participer ou s’il divorçait, le sous-entendu étant qu’il devrait agir dans un ordre optimal. Nous devons donc faire preuve de plus de transparence. D’ailleurs, l’une des missions actuelles du CNA est d’augmenter ses échanges avec les parties prenantes et de resserrer ses liens avec les organismes de réglementation dont le travail est connexe.
Et finalement, sommes-nous à l’abri de l’influence indue d’intérêts commerciaux? Cette question était l’une des principales préoccupations lors de la dernière réunion annuelle conjointe avec le CSPA. Un bref examen de la gouvernance est également en cours pour passer en revue nos processus officiels et notre documentation, afin de cerner et de régler tout conflit d’intérêts éventuel ou absence d’indépendance potentielle. À l’exception de certains retraités, tous nos membres sont actuaires. Nous devons donc faire très attention pour ne pas oublier que notre rôle change lors des réunions du CNA et que, durant celles-ci, nous sommes au service du public.
Un CNA vigoureux et indépendant dont le processus de surveillance de la gouvernance est rigoureux dans lequel le CSPA participe activement et tient un rôle de premier plan. Voilà des avancées importantes pour notre profession. Et l’histoire ne fait que commencer.