Par Stuart Wason, FICA
Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe à la Conférence des Parties (COP), le sommet annuel des Nations Unies sur les changements climatiques? En novembre 2022, à la demande de l’Association actuarielle internationale (AAI), j’ai assisté à la COP27, qui se tenait en Égypte. Voici ce que j’y ai appris.
Chaque année depuis 1995, l’Organisation des Nations Unies tient une COP réunissant des dirigeants et dirigeantes du monde entier pour aborder les problèmes climatiques liés à l’activité humaine. Lors de la COP26, tenue en Écosse en 2021, des progrès ont été réalisés à divers égards, notamment la présentation par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) d’une évaluation scientifique d’envergure, des accords visant à supprimer progressivement certaines subventions visant les combustibles fossiles, un cadre pour le commerce du carbone et des engagements en matière de déforestation et d’émissions de méthane. Il restait toutefois encore beaucoup à faire, notamment la prise d’engagements précis à l’égard des investissements dans les combustibles fossiles et le financement de démarches d’adaptation dans les pays en développement. La COP27 devait marquer le passage de la planification à l’action dans le cadre de certaines activités visant à contrer les changements climatiques. Elle devait être la « COP de la mise en œuvre ».
La COP comptait cette année 45 000 participants et participantes, soit des délégués de chacune des parties (soit chaque pays) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, ainsi que des dizaines de milliers d’observateurs provenant d’organisations non gouvernementales telles que l’AAI. Dans la « zone bleue » (accessible seulement aux personnes déléguées et aux observateurs préinscrits) se tenaient des séances de négociation de la COP — fermées aux observateurs — et un hall d’exposition ouvert à tous les participants et participantes. Ce dernier était constitué de centaines de pavillons parrainés par divers pays et organisations. C’est là que Rade Musulin, un collègue australien représentant l’AAI, et moi-même avons passé notre temps pendant la COP.
Ensemble, Rade et moi avons présenté la profession actuarielle à de nombreux participants et participantes, et avons tenu des rencontres avec plusieurs intervenants importants. Nous visions ainsi à contribuer à faire de la profession un acteur plus influent dans cet important domaine émergent de la pratique actuarielle.
Une journée type à la COP
Les pavillons de la COP étaient pour la plupart de grande taille et abritaient des aires permettant d’organiser à l’intention des observateurs des exposés présentés par des groupes de spécialistes. Le pavillon canadien, par exemple, a tenu chaque jour de la conférence de deux semaines des séances sur divers sujets. Pendant notre séjour d’une semaine à la COP, Rade et moi avons assisté à toute une gamme de ces séances dans divers pavillons.
L’une des séances auxquelles j’ai assisté au pavillon du Canada s’intitulait « Mise en œuvre d’une stratégie d’adaptation nationale visant les risques de feu de forêt, d’inondation et de chaleur extrême auxquels fait face le Canada aujourd’hui ». Cette séance était animée par le Bureau d’assurance du Canada (BAC) pour le groupe Un Canada résistant au climat. Craig Stewart du BAC, l’urgentologue Courtney Howard, un représentant de la Fédération canadienne des municipalités et Ann Howard, de l’Institut international du développement durable, en étaient les conférenciers et conférencières. Ceux-ci figurent sur la photo ci-dessous en compagnie de Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, qui a remercié ceux-ci et présenté une mise à jour relative au plan national d’adaptation (PNA) du Canada.
Les spécialistes ont indiqué que l’adaptation, soit le processus d’ajustement aux changements climatiques actuels ou prévus, est cruciale pour atténuer les risques climatiques. À ce chapitre, ils ont exposé les points suivants :
- Le Canada achève la mise au point de son PNA.
- Ce plan prévoira une collaboration étroite et l’apport de toutes les parties prenantes, y compris les divers ordres de gouvernement, les municipalités et les groupes tels que Un Canada résistant au climat.
- L’adaptation nécessite une bonne gouvernance à tous les égards.
- La compréhension de l’adaptation demeure faible pour l’instant. Il faudra assurer une meilleure sensibilisation du public et une meilleure communication.
- Il règne autour de l’adaptation une incertitude énorme qui nécessitera une prise de décision rapide.
- L’adaptation comporte divers horizons temporels à court et à long terme.
- L’adaptation suscite la curiosité de tous, mais rares sont ceux qui en font une priorité.
- Pour assurer la gouvernance efficace de l’adaptation, il est essentiel d’en désigner clairement les responsables vu le grand nombre d’acteurs du changement.
- L’adaptation nécessite l’intégration verticale du processus décisionnel (par exemple, aux échelons municipaux, provinciaux et fédéral). Cela peut s’avérer particulièrement difficile étant donné que l’adaptation au climat ne fait pas forcément l’objet du même engagement par les divers ordres de gouvernement, qui ne possèdent peut-être pas non plus le même degré d’information en la matière.
- L’adaptation nécessite la définition claire des responsabilités et, par conséquent, des objectifs mesurables et pouvant être formulés sous forme de résultats souhaités.
- Les progrès doivent être suivis et communiqués. Cette tâche peut être accomplie par le secteur privé ou par le gouvernement.
- Les municipalités ont besoin d’un financement stable et permanent afin de pouvoir assurer l’entretien et la modernisation des infrastructures clés pour faire face aux effets des changements climatiques. Elles doivent également continuer à planifier et à prévoir des aires pour l’aménagement de parcs et d’espaces verts qui permettront de contribuer à atténuer les effets des changements climatiques.
Voici d’autres observations issues de la COP27 :
L’activité mondiale est énorme
La COP27 nous a permis de mieux comprendre l’ampleur des efforts déployés en matière de changements climatiques et de viabilité. Outre les « suspects habituels » de la science du climat et des rapports financiers (p. ex., l’International Sustainability Standards Board (ISSB)), nous avons constaté une activité importante dans les domaines de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, du carbone bleu, de l’adaptation et de l’atténuation des gaz à effet de serre. Nous serons ainsi en mesure de contribuer davantage aux activités de l’AAI (et des associations actuarielles membres) au cours de l’année à venir. Il apparaît aussi clairement que la quasi-totalité des activités économiques sera affectée par les risques climatiques et la décarbonisation, ce qui souligne l’importance que revêtent ces risques pour notre profession.
Au-delà des actualités
Lors de ces réunions, il se passe beaucoup plus de choses que ce que nous présentent les médias, qui ont tendance à mettre l’accent sur les grands accords gouvernementaux (ou sur leur inexistence). Le fait d’être sur place nous a permis d’assister à des présentations abordant les nouvelles technologies, les stratégies d’adaptation, les mesures d’atténuation et d’autres innovations et projets dont on ne parle pas nécessairement dans les actualités. Lors de la conférence, nous avons constaté qu’il se passe manifestement bien plus que la conclusion d’accords gouvernementaux, ce qui est une source d’espoir.
1,5 °C : une utopie
Bien qu’il s’agisse d’un objectif presque sacro-saint depuis la signature de l’accord de Paris sur le climat il y a huit ans, les exposés scientifiques ont clairement montré la quasi-impossibilité qu’une voie réaliste puisse réussir à limiter le réchauffement à 1,5 °C (une réalité soulignée par The Economist dans un excellent article (en anglais) sur le sujet). Par ailleurs, il devient également évident que les scénarios les plus extrêmes sont peu probables. Ainsi, l’éventail de résultats probables se rétrécit à mesure que s’améliorent les connaissances scientifiques.
Pour illustrer la richesse des exposés présentés à la COP, nous avons assisté à des séances très intéressantes sur le dégel du pergélisol en hautes latitudes (principalement dans l’Arctique) et son effet sur les concentrations de méthane. Ces renseignements seront très utiles aux fins de l’élaboration de scénarios réalistes, lesquels font l’objet de plusieurs documents du groupe de travail de l’AAI sur les risques climatiques.
L’adaptation est cruciale
La forte probabilité d’un réchauffement supérieur à 1,5 °C est un argument solide en faveur de l’adaptation. Nous avons assisté à plusieurs séances très intéressantes sur les populations vulnérables et les défis que pose la mesure des risques et du potentiel d’adaptation dans les pays en développement. Si l’adaptation est importante pour toutes les régions du monde, ce sont les populations vulnérables qui pourraient en bénéficier le plus. L’AAI a déjà produit un document (en anglais) sur les populations vulnérables intitulé Climate Change, Insurance and Vulnerable Populations, auquel on a fait référence dans certaines discussions.
Du climat à la viabilité
On a accordé une grande attention à la sécurité alimentaire, aux ressources hydriques, à la biodiversité, à la pollution par les plastiques et à d’autres thèmes connexes. Cela démontre l’évolution de la réflexion sur les risques climatiques, qui inclut désormais des enjeux de viabilité plus vastes. Dans le cadre des discussions de la COP, on a aussi souligné l’importance d’assurer une transition juste, de tenir compte des besoins des populations vulnérables, ainsi que d’autres dimensions sociales liées aux changements climatiques.
Des rencontres clés
Notre présence sur place nous a permis d’interagir avec un large éventail de spécialistes et de présenter la profession aux participants et participantes. Elle nous a aussi offert une occasion précieuse de tenir des réunions en personne avec plusieurs parties prenantes clés, dont le GIEC, l’ISSB, la Financial Conduct Authority du Royaume-Uni, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Programme des Nations Unies pour l’environnement.
Nous avons pu discuter directement avec le groupe de travail II du GIEC d’une éventuelle collaboration avec l’AAI dans le cadre d’un rapport conjoint portant sur l’adaptation. Nous avons également tenu une rencontre avec des membres de l’ISSB, y compris sa vice-présidente, et préparé le terrain en vue de discussions futures au sujet de leurs nouvelles normes.
Quelle est la prochaine étape?
Rade et moi avons été quelque peu étonnés de constater la présence d’un seul autre actuaire, celui-là d’Afrique du Sud. Nous avons également noté qu’en dehors de la présence d’un ou deux assureurs, ainsi que du BAC du Canada, il semblait y avoir une très faible participation de la part du secteur mondial de l’assurance.
Nous pensons que la profession a un rôle important à jouer en aidant les principales parties prenantes à gérer leurs risques climatiques. Nous sommes également d’avis que la profession devrait s’orienter vers une approche plus large et mieux définie à l’égard des questions de durabilité telles que la sécurité alimentaire (qui a des liens évidents avec le travail actuariel dans de nombreux pays).
Cet article présente l’opinion de son auteur et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.