Par Denis Latulippe, FICA
S’inspirant de l’initiative du chancelier allemand Bismarck, les Français y vont d’une première initiative de retraite à grande échelle en 1910. Tout comme en Allemagne, les pensions de retraite sont capitalisées. En France, l’âge de retraite est fixé à 65 ans alors que moins de 10 % de la population atteint cet âge. On ne prévoit pas de prestation d’invalidité. En Allemagne, l’âge de retraite est de 70 ans, mais près de 90 % des Allemands et Allemandes deviennent bénéficiaires au titre de la prestation d’invalidité.
Les turbulences de l’entre-deux-guerres sonnent le glas de ces pensions capitalisées. En France, cet échec a été tributaire non seulement du contexte d’inflation et de dépréciation monétaire, mais également de l’annulation du caractère obligatoire par le plus haut tribunal du pays et de la volonté d’un régime d’assurance sociale généralisé.
Au sortir de la deuxième guerre, le peuple français voit émerger des réalités nouvelles : la croissance économique avec le Plan Marshall précurseur des Trente Glorieuses (1945-1973), la stabilité politique de la Cinquième République (1958) et une solidarité renforcée par la sécurité sociale (1945).
Dès 1945, la France opte pour des retraites par répartition, soucieuse de rehausser rapidement la situation financière des personnes âgées : les cotisations courantes financent les prestations de la même année. On y voit une marque de solidarité intergénérationnelle.
Les années qui suivent sont marquées par une amélioration des conditions socioéconomiques et un allongement de l’espérance de vie.
Les crises du pétrole des années 1970 marquent le début d’une période de ralentissement de la croissance débouchant sur une « crise de l’État providence », avec des difficultés de financement de la protection sociale. En parallèle, l’âge de retraite est ramené de 65 à 60 ans sous la présidence de François Mitterrand.
Par la suite, des projets de réforme sont introduits au fil des ans. Ils sont malvenus, d’autant plus qu’ils visent un resserrement des dispositions et évoquent même un besoin de capitalisation, sur la base des « pension funds » (caisses de retraite) anglo-saxons. Les retraites deviennent le porte-étendard de la solidarité française. Outre le fait de maintenir une institution phare de l’après-guerre, différentes raisons peuvent expliquer cela :
- Des réformes incomplètes : Les réformes successives ont une portée de durée limitée ramenant constamment à l’avant-plan la question de l’âge de retraite. D’autres pays, dont le Canada ou la Suède ont su adopter des approches pérennes. Au Canada (Régime de rentes du Québec et Régime de pensions du Canada), il s’est agi de stabiliser le financement sur un horizon de 50 à 75 ans. En Suède, l’âge de la retraite est ajusté automatiquement en fonction de la longévité.
- La légitimité de la retraite : Contrairement à certains pays (asiatiques) où l’éthique du travail porte préjudice à l’inactivité en fin de vie, les Français et Françaises considèrent légitimes et nécessaires la retraite en fin de carrière, aussi bien que les vacances annuelles, et ce, dans de bonnes conditions.
- L’action syndicale : Le taux de syndication est faible en France. L’action publique contribue à renforcer la visibilité et la crédibilité des centrales syndicales. Elle protège aussi les régimes spéciaux de retraite de certains groupes syndiqués.
- La mobilisation : Comme on dit, outre le football, les manifestations sont le sport préféré du peuple français.
- Les pension funds (caisses de retraite) : La pré-capitalisation des régimes de retraite des pays anglo-saxons s’est traduite par la constitution de capitaux considérables, investis un peu partout, dont en France. Les Français et Françaises y ont vu une influence abusive et une menace à leur souveraineté économique. Par voie de conséquence, ils ont rejeté la capitalisation de leur système de retraite.
La solution n’est pas simple, notamment parce que la France figure parmi les pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. La nécessité de l’équilibre budgétaire est au cœur des débats.
Deux avenues pourraient favoriser une évolution constructive du dossier.
- Une flexibilité accrue : L’âge légal de retraite « unique » est encore central en France. Il est actuellement de 62 ans avec volonté de l’augmenter à 64 ans. Une réflexion visant une flexibilité plus importante, incluant la possibilité de retraite progressive, pourrait contribuer à sortir les Français et Françaises du carcan actuel.
- Une solution consensuelle : À son dernier mandat, et soucieux de son héritage, Emmanuel Macron semble déconnecté de la réalité du peuple français. Il semble vouloir cette réforme « à tout prix ». Pour y parvenir, le président devra se montrer à l’écoute et s’entourer de personnes capables d’établir des ponts.
Denis Latulippe, FICA, a été haut-fonctionnaire auprès de l’État québécois et de l’Organisation des Nations Unies. Il est actuellement professeur titulaire à l’École d’actuariat de l’Université Laval et administrateur du Mouvement Desjardins.
Cet article présente l’opinion de son auteur et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.