Par Chris Fievoli, FICA
Il y a quelques années, nous avons tenté d’établir un lien entre le baseball et la profession actuarielle. Je me suis dit qu’il était temps de le faire à nouveau. Cette fois-ci, toutefois, au lieu de me concentrer sur l’aspect éthique, je vais aborder directement ce qui intéresse probablement la plupart des actuaires : les chiffres.
Le baseball a toujours été intéressant en raison de la quantité de données qu’il génère. Les statistiques nous montrent non seulement ce qui se passe au cours d’un match ou d’une saison, mais peuvent aussi brosser un portrait étonnamment précis des performances d’un joueur ou même des tendances dominantes d’une époque. Ainsi certains nombres sont devenus évocateurs pour les passionnés du baseball. Ceux et celles qui connaissent l’histoire du jeu sauront de quoi je parle si je mentionne les nombres 61, .406, 56, 755 ou 511.
Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que les statistiques du baseball ont connu une nouvelle avancée importante. C’est à ce moment que Bill James, gardien de nuit dans une conserverie de porc et de haricots au Kansas, a commencé à consacrer ses temps libres à l’élaboration d’un nouveau type d’analyse du jeu. Puis, en 1982, on a assisté à la vaste publication du Bill James Baseball Abstract. Soudain, le monde du baseball avait une toute nouvelle façon de regarder le sport.
« À l’aide des statistiques existantes en matière de baseball, James a conçu une série de nouvelles mesures, lesquelles visaient toutes à fournir des renseignements sans précédent sur le jeu. Ce fut le premier véritable exercice d’analyse du baseball, qu’il a nommé la « sabermétrie », en reconnaissance de la Society for American Baseball Research (Société américaine de recherche sur le baseball). »
C’est le livre Moneyball: The Art of Winning an Unfair Game, publié en 2003 par Michael Lewis, lequel a donné lieu, en 2011, au film Moneyball, mettant en vedette Brad Pitt, qui a été le jalon important suivant dans l’évolution de l’analyse du baseball.On y raconte l’histoire de Billy Beane, directeur général des A’s d’Oakland, qui a adopté la sabermétrie pour trouver des talents, un contraste important avec le style plus traditionnel qui s’appuyait fortement sur l’observation personnelle et l’intuition. À cette époque, à peu près tous les acteurs du sport avaient compris que l’analyse permettait d’obtenir un avantage concurrentiel, et il n’y a pas eu de retour en arrière.
Dans les années 2010, les statistiques du baseball avaient complètement changé d’allure. Les mesures traditionnelles telles que la moyenne au bâton et la moyenne de points mérités ont été supplantées par les mesures PPP (présence plus puissance) et WAR (victoires au-dessus du remplacement). Les fans ont dû comprendre ce que signifiaient des termes tels que vitesse de rotation, angle de lancement et vitesse de sortie.
Mais quelque chose d’autre s’est produit en cours de route. Le jeu a commencé à être ennuyeux, faute d’un meilleur mot.
Le baseball était devenu un affrontement de la puissance contre la puissance. Plutôt que d’essayer de produire des points au moyen de coups sûrs et de sacrifices, les frappeurs ont commencé à viser les clôtures. Les lanceurs se sont donc mis à essayer de les déjouer afin de donner lieu à des prises. Les retraits au bâton et les coups de circuit sont devenus la règle. Il y avait moins de balles mises en jeu et très peu de buts volés. Lorsque les frappeurs ont perdu intérêt à frapper dans le champ opposé, les équipes ont commencé à procéder à des changements défensifs… et les matchs ont commencé à s’éterniser.
Pourquoi cela s’est-il produit? La faute en revient en grande partie à l’analyse. Il devenait évident que la formule traditionnelle « coup frappé-vol-sacrifice » avait relativement moins de chances de porter fruit. En fait, il était statistiquement plus avantageux de jouer la puissance, l’avantage de frapper la balle hors du terrain compensant largement l’inconvénient des nombreux retraits au bâton.
Autrement dit, l’analytique avait eu pour effet de révéler la véritable formule de la réussite au baseball. Et ce n’était pas très excitant.
Quel est donc le rapport avec l’actuariat? Ce que la sabermétrie a fait, c’est de révéler une vérité difficile sur le baseball. Et le travail actuariel peut souvent faire la même chose.
Prenons par exemple la controverse sur l’utilisation des codes postaux dans la tarification automobile. Les habitants d’une région particulière peuvent se plaindre de se voir imposer une prime plus élevée uniquement en raison de leur lieu de résidence, mais les données en fournissent la preuve : il y a tout simplement beaucoup de sinistres dans cette région. Vous pouvez être un bon automobiliste qui veille à la sécurité de son véhicule, mais qui vit dans un secteur où les vols de voitures sont plus fréquents ou dans lequel les rues résidentielles favorisent des vitesses plus élevées, lesquelles peuvent entraîner des blessures plus graves en cas d’accident. Et le fait est que l’analyse de la tarification réitère ces différences territoriales au fil des ans.
À mesure que nous recueillerons des données plus nombreuses et plus innovantes sur les conducteurs et conductrices dans le cadre de l’assurance basée sur l’utilisation (c’est-à-dire la télématique), nous découvrirons assurément de nouvelles catégories de facteurs qui contribuent à augmenter les coûts d’assurance, au grand dam des conducteurs et conductrices dont les habitudes contribuent directement à cette mauvaise expérience.
Je suis prêt à parier qu’il existe plusieurs exemples du genre dans l’histoire. Nous savons depuis longtemps que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais lorsque nous avons fait ce constat, l’ego des hommes a dû en prendre un coup. De la même façon, les fumeurs ont dû être désagréablement surpris d’apprendre qu’ils avaient un taux de mortalité nettement plus élevé (surtout s’ils ont été influencés par les publicités pour les cigarettes mettant en scène Jackie Robinson et Stan Musial).
Sans aucun doute, quiconque se verrait refuser une assurance vie ou devrait payer une surprime ne pourrait se réjouir de cette décision. Mais, celle-ci serait fondée sur le profil médical, la profession ou l’activité professionnelle. Encore une fois, ce n’est pas parce que vous n’aimez pas la réponse qu’elle n’est pas vraie.
« Alors, quelles autres vérités difficiles allons-nous découvrir, d’autant plus que la modélisation prédictive permet d’atteindre de nouveaux niveaux de connaissance? Nous ne le savons pas encore, mais nous devons être prêts et prêtes à défendre nos constatations et à nous assurer que nous disposons des preuves et de la rigueur nécessaires pour les étayer. »
Il sera encore plus important d’avoir la capacité d’expliquer ces résultats d’une manière compréhensible pour le public.
C’est en partie pour répondre à ces tendances que la ligue majeure de baseball a apporté une série de changements aux règles en 2023. Les changements défensifs sont maintenant interdits, les buts sont maintenant plus grands, les retraits-surprises sont limités et une limite de temps est imposée pour les lancers. (En fait, il y a toujours eu une règle régissant le temps entre les lancers. Elle n’a simplement jamais été appliquée). Il est peut-être encore trop tôt pour en mesurer l’impact, mais il semble que le jeu « à l’ancienne » – frapper pour la moyenne, voler des buts, faire des contacts – soit en train de faire un retour.
Je ne sais pas si nous aurions cette capacité dans le monde actuariel. Nous devrons simplement continuer à faire du bon travail pour expliquer et justifier ces vérités difficiles que personne ne semble aimer.
Cet article reflète l’opinion de l’auteur et il ne représente pas une position officielle de l’ICA.