Par Chris Fievoli, FICA, actuaire membre du personnel de l’ICA
Les Rolling Stones reprennent la route cet automne, malgré le récent décès de leur batteur Charlie Watts, ce qui prouve que le vieil âge et une mort prochaine ne sont pas des obstacles lorsqu’on est une rock star. La tête d’affiche, Mick Jagger, a 78 ans, mais on ne peut absolument pas s’en douter si l’on regarde seulement cette vidéo d’une pratique de 2019. Et même si Keith Richards a l’air d’avoir dépassé le centenaire depuis longtemps, il a encore plein d’énergie et rendu où il en est, il ne va probablement jamais mourir.
Mais ce ne sont pas les seuls. Plusieurs chanteurs de l’âge d’or du rock – Elton John, Rod Stewart, Paul McCartney et Eric Clapton pour n’en nommer que quelques-uns – produisent encore de nouvelles chansons et font des tournées, même s’ils ont atteint l’âge où nous serions à la retraite depuis longtemps. Il faut reconnaître que certains de ces spectacles sont des « tournées d’adieu », mais The Who a démontré le peu de crédibilité qu’on peut accorder à cette étiquette.
Parlant de The Who, dont les membres espéraient mourir avant de devenir vieux dans « My generation », et bien leur souhait ne s’est clairement pas réalisé. Les rocks stars de la fin des années 60 et du début des années 70 ont, à un âge plus avancé, prouvé qu’ils ont une endurance hors norme et une longévité impressionnante. C’est particulièrement impressionnant dans un milieu où trop d’artistes de grand talent sont tragiquement morts, beaucoup trop jeunes. C’est comme s’il y avait une inversion bizarre du taux de mortalité : si un musicien peut survivre les premières années turbulentes de sa carrière, il pourra profiter d’une longévité anormalement longue. On dirait presque un phénomène qui pourrait faire l’objet d’une analyse actuarielle.
Le reste de l’article n’a pas été écrit sur un coin de table… mais presque : il déborde probablement d’hypothèses erronées, mais c’est un début. En présumant que 1970 fut le pic de l’âge d’or du rock, j’ai constitué un échantillon de 40 groupes qui étaient actifs durant cette période, ce qui représente 186 membres dont j’ai vérifié le taux de survie au cours des cinq décennies subséquentes. Mon échantillon inclut notamment The Stones et The Who – évidemment – ainsi que les Beatles, Led Zeppelin, Black Sabbath, Pink Floyd, The Stooges et Genesis. C’est tout un programme… encore meilleur que celui de Woodstock.
Pour l’hypothèse de mortalité, j’ai eu la chance de tomber sur les tables d’espérance de vie (en anglais) rédigées par l’administration de la sécurité sociale américaine, qui remontent à 1900 et qui font des projections jusqu’en 2095. Ces tables m’ont aidé à refléter l’amélioration historique de l’espérance de vie, ce qui est un problème épineux et j’ai jugé que cela ferait l’affaire, malgré le fait qu’il y a un certain nombre de Britanniques et de Canadiens dans mon échantillon.
Avec tout ça en mains, j’ai regroupé tous les musiciens qui étaient encore vivants au début de chaque décennie. Puis, j’ai calculé le nombre de décès anticipés pour les 10 années suivantes, que j’ai ensuite comparé au nombre de décès réels. Si ma théorie était véridique, j’aurais dû observer un excès de mortalité dans les années 70 et 80, mais de meilleurs résultats que ce à quoi on s’attendait au cours des années 2000 et 2010.
En n’oubliant pas que mon échantillon est ridiculement petit, voici ce qu’on obtient :
Est-ce qu’on tient quelque chose grâce à cette théorie? Selon moi, certainement que peut-être. Le taux de mortalité des stars du rock était horrible dans les années 70 (souvenons-nous de Jimi Hendrix, Jim Morrison, Duane Allman et de tous les autres), mais il semble s’être stabilisé il y a environ 30 ans et n’est pas mal du tout depuis.
À savoir pourquoi on observe cela, voici quelques autres explications possibles :
- L’effet de la sélection naturelle : Soyons honnêtes, si vous avez une constitution assez robuste pour atteindre 40 ans en tant que musicien rock, alors vous avez probablement une meilleure génétique que la moyenne des gens.
- L’effet de « dissuasion par la peur » : Peut-être que de voir certains de leurs camarades mourir aussi jeunes a suffi pour inciter les survivants d’aujourd’hui à mettre de l’ordre dans leurs affaires et à adopter un style de vie plus sain.
- L’effet Napster et Spotify : La plupart des artistes du rock s’attendaient probablement à vivre une retraite bien grasse, soutenue par leurs chèques de redevances. Mais quand les ventes de CD ont implosé grâce au partage de fichiers et, éventuellement, aux services de diffusion continue, il a fallu reprendre la route et retourner en studio pour avoir des revenus. Ce facteur a peut-être à lui seul été suffisant pour inciter les rocks stars à prendre soin d’eux.
Quel que soit le cas, le Temps demeure invaincu. La plupart de ces artistes deviendront octogénaires dans la prochaine décennie et nous saurons à quoi ressemble l’espérance de vie dans cette section de la table de mortalité. Donc, si vous avez la chance de voir votre groupe préféré en spectacle, profitez-en bien, parce que personne ne vit pour toujours.
Sauf Keith peut-être.
Un merci tout particulier à Joseph Gabriel, FICA, actuaire membre du personnel et autre grand mélomane, pour son contrôle des données.