Par Jing Lang, FICA
Au début du mois d’avril, quelque 50 actuaires provenant de 17 pays se sont réunis à Singapour dans le cadre d’un sommet de deux jours sur l’intelligence artificielle (IA) afin de discuter de la montée de l’IA et de ses répercussions sur la profession actuarielle.
Cet événement était commandité par l’Association actuarielle internationale (AAI) avec la bénédiction explicite de son président, Charles Cowling. Charles – qui occupe le poste d’actuaire en chef chez Mercer UK – a à cœur d’inciter les actuaires à explorer les possibilités qu’offre l’IA. Il est convaincu qu’en ayant une meilleure compréhension des risques et des possibilités associés à l’IA, les actuaires seront bien placés pour saisir les nouvelles fonctions, les nouvelles solutions et les nouvelles possibilités qu’amène la marée de l’IA.
À propos de l’AAI
J’ai fait du bénévolat pour l’Institut canadien des actuaires (ICA) et pour la Society of Actuaries (SOA) pendant plus d’une décennie et pourtant, jusqu’à ce moment, j’en connaissais très peu au sujet de l’AAI. La mission de l’AAI, un organisme enregistré en Suisse et exerçant ses activités depuis Ottawa, au Canada, comporte trois volets :
- Assurer la réputation de la profession.
- Faire avancer les compétences de la profession.
- Exercer une influence grâce aux relations avec les parties prenantes du monde entier.
Grâce à ses 100 associations membres (73 membres titulaires et 27 membres associés), l’AAI représente plus de 75 000 actuaires dans plus de 100 pays. L’ICA est membre titulaire de l’AAI.
Groupe de travail sur l’intelligence artificielle
Lorsqu’on a évoqué l’idée de créer un groupe de travail qui se pencherait sur l’IA au sein du comité exécutif de l’AAI, Peter Withey a été le premier à lever la main. « Le sujet m’interpelle grandement et j’appuie vigoureusement l’idée que la profession s’unisse à l’échelle mondiale pour créer une réponse à l’IA et déterminer une orientation concernant son utilisation », a déclaré Peter, dont le dynamisme et la passion de sa nature ambitieuse transparaissent à travers les cheveux blancs.
Le groupe de travail de l’AAI sur l’IA (GTIA), dirigé par Peter et soutenu par Suee Chieh Tan, qui en assure la vice-présidence, poursuit les objectifs suivants :
- faire progresser les compétences de la profession en matière d’IA;
- promouvoir le rôle des actuaires;
- préparer l’AAI à engager le dialogue avec des parties prenantes supranationales.
Afin de mieux définir la portée des travaux et d’éliminer les chevauchements, on a divisé le GTIA selon cinq volets de travail, dont les objectifs sont les suivants :
- Innovation : Instaurer une mentalité de croissance chez les actuaires.
- Gouvernance : Surveiller et évaluer les cadres, les politiques et la réglementation en matière de gouvernance et engager un dialogue avec les organismes de réglementation et de normalisation, ainsi qu’avec les décideurs.
- Évolution des fonctions des actuaires : Élaborer des définitions de base de l’IA, cerner les domaines dans lesquels celle-ci peut enrichir le travail actuariel et favoriser le développement de l’expertise actuarielle correspondante.
- Professionnalisme et éthique : Élaborer des lignes directrices et des principes à l’intention des actuaires.
- Éducation : Enrichir les programmes d’études et les modules de formation en y intégrant l’IA.
Le GTIA a sélectionné 97 actuaires des quatre coins du monde nommés par ses organismes membres. La moitié d’entre eux ont assisté en personne au sommet sur l’IA. Pour ce qui est des dirigeants et dirigeantes, outre Charles Cowling, président actuel de l’AAI, Greg Heidrich, chef de la direction de la SOA, Kalpana Shah, présidente de l’Institute and Faculty of Actuaries, et Bozenna Hinton, présidente désignée de l’AAI, étaient également présents, ce qui démontre bien la préoccupation que représente l’IA pour plusieurs organismes professionnels actuariels.
Le programme de ces deux jours comportait des séances plénières et des séances de discussion pour chacun des cinq volets. On avait établi clairement le mandat. Pour chaque volet, on devait formuler des recommandations quant aux étapes concrètes à mettre en œuvre pour accomplir ce projet de départ d’ici le mois de décembre 2024.
Et ensuite?
Tant du côté des dirigeants et dirigeantes que de celui des délégués, on croyait fermement que l’IA ne remplacerait pas les actuaires, mais que les actuaires qui pourront exploiter le pouvoir de l’IA remplaceraient toutefois ceux qui ne le feront pas.
À l’issue de ces deux jours, les dirigeants et dirigeantes de chaque volet de travail ont présenté le fruit de leurs discussions et recommandé les étapes à venir. On a aussi planifié des rencontres ultérieures entre les membres du groupe de travail qui n’ont pas pu se rendre au sommet. On a également établi clairement que bien que le projet actuel ne s’échelonne que jusqu’à la fin de l’année 2024, ces travaux feront naître d’autres initiatives qui se poursuivront en 2025. Comme l’a dit Peter, « cette initiative sera véritablement mise à l’épreuve lorsque nous parviendrons à transformer assez rapidement les intentions issues du sommet en résultats concrets pour qu’ils soient utiles ».
Après tout, même si le domaine de recherche de l’IA existe depuis près de 70 ans, la démocratisation récente — propulsée par ChatGPT, entre autres choses — a eu pour effet de sensibiliser le public et d’inciter les consommateurs à adopter l’IA dans une mesure sans précédent. Et elle est installée pour de bon. En tant qu’actuaires, nous devons sortir notre planche de surf proverbiale pour avancer avec grâce sur la vague de cette évolution technologique formidable.
Commentaires d’actuaires de premier plan au sujet du sommet
À la suite des discussions et du travail de collaboration qui ont eu lieu lors du sommet sur l’IA, je me suis entretenue avec plusieurs participants et participantes de premier plan afin de mieux comprendre leur cheminement personnel en ce qui concerne l’IA et leur point de vue sur l’avenir de la profession actuarielle à l’ère de l’intelligence artificielle. Ci-après, Bernice Lim et Tim Bishop, tous deux FICA, qui participent activement au groupe de travail sur l’IA de l’AAI, nous font part de leurs réflexions sur le pouvoir de transformation de l’IA et sur ses répercussions pour les actuaires du monde entier.
Volet de travail du GTIA de l’AAI : Gouvernance
Q : Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à l’IA?
R : Les avancées technologiques m’ont toujours intéressée. Je suis très désireuse de connaître les tendances dans notre secteur ainsi que les orientations que prend le monde. Mon intérêt à l’égard de l’IA a pris naissance de la simple curiosité de savoir comment des plateformes comme Spotify connaissent les chansons à me recommander. Cette interrogation m’a amenée à vouloir comprendre l’IA et ses répercussions plus larges sur nos vies et sur la société. En m’y intéressant de plus près, j’ai été intriguée par les possibilités qu’offre l’IA de révolutionner divers secteurs d’activités et de changer notre vie courante.
Q : Pourquoi est-il important pour vous de vous engager dans cette initiative?
R : Ma participation à l’initiative sur l’IA est importante pour moi, et ce, pour plusieurs raisons. L’IA est à l’avant-garde de l’innovation technologique dans le monde d’aujourd’hui. Le fait de faire partie de cette initiative me permet donc de me tenir au courant des avancées de l’IA et d’être prête à adopter les changements transformateurs qu’elle apporte dans le quotidien.
Je suis également avide d’explorer l’influence qu’exerce l’IA sur le rôle des actuaires et la manière dont les actuaires peuvent s’y adapter et l’exploiter efficacement dans le cadre de leur travail. Je suis très enthousiaste à l’idée de pouvoir contribuer à l’adaptation de la communauté actuarielle à l’IA et d’explorer l’utilisation de cette dernière pour résoudre des problèmes. Les outils faisant appel à l’IA deviennent de plus en plus essentiels dans nos vies personnelles et professionnelles. Je crois donc qu’il est crucial de prendre part à ce mouvement.
Q : De quelle façon vous attendez-vous à interagir avec l’IA dans cinq à 10 ans?
R : Au cours des cinq à 10 prochaines années, je m’attends à une interaction avec l’IA plus naturelle et plus personnalisée. L’IA est en voie de s’intégrer dans nos habitudes quotidiennes à la maison et au travail et de nous faciliter la vie en favorisant l’efficacité. La poursuite des avancées en matière de technologie et de données permettra à l’IA de fournir encore plus rapidement des solutions encore plus personnalisées.
Nous pouvons aussi nous attendre au cours des prochaines années à des lignes directrices et à une réglementation plus pointues en matière d’IA. Plus notre société sera bien informée en ce qui concerne l’IA et les risques qu’elle présente, mieux nous serons outillés pour interagir avec celle-ci et la gérer de manière responsable et efficace.
Volet de travail du FTIA de l’AAI : Innovation (co-président)
Q : Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à l’IA?
R : J’ai commencé à m’intéresser à la science des données et à l’apprentissage machine il y a environ cinq ans, principalement à titre d’intérêt général. À l’université, j’ai étudié l’informatique et la statistique. Je connaissais donc déjà quelques-uns des outils et des techniques qui sont couramment utilisés aujourd’hui.
Maintenant, avec l’explosion de l’IA générative et d’autres systèmes faciles d’utilisation, tout le monde a accès à l’IA. C’est un domaine fascinant. L’IA exercera un effet important sur la profession actuarielle. Reste à voir ce qu’il sera et l’ampleur qu’il prendra. Ça fait beaucoup de bruit. Cela dit, il serait imprudent de sous-estimer l’IA. Je suis content que l’AAI ait créé le groupe de travail sur l’IA.
Q : De quelle façon vous attendez-vous à interagir avec l’IA dans cinq à 10 ans?
R : Je vais répondre à cette question de deux points de vue : celui de membre du public et celui d’actuaire.
En tant que membre du public, je suis principalement préoccupé par la protection de la vie privée et du public. Dans le cadre de nombreuses interactions avec des « gens », on s’inquiétera de plus en plus de savoir « qui est de l’autre côté ». Si vous croyez aujourd’hui que le capitalisme de surveillance ou la bonne vieille fraude sont terribles, attendez de voir.
D’un point de vue d’actuaire, je crois que c’est dans la façon dont les actuaires interagiront avec les non-actuaires en conséquence de l’IA que résidera la plus importante répercussion. Par le passé, les actuaires étaient en général laissés à eux-mêmes dans une profession plutôt isolée. L’IA changera cette situation de plusieurs façons. Les actuaires peuvent s’attendre à collaborer davantage avec des scientifiques des données. Cela me semble évident. Toutefois, de nombreux actuaires et employeurs d’actuaires devraient s’attendre à devoir expliquer davantage leur travail au public. Les moteurs de recherche amènent bien des personnes à poser elles-mêmes des diagnostics de leur était de santé, ce qui oblige les professionnels et professionnelles de la santé à fournir davantage d’explications et de justifications. Bien que cela ne soit pas aussi facile que de diagnostiquer soi-même la varicelle, l’IA et les outils connexes donneront aux consommateurs avisés la possibilité de remettre en question le travail des actuaires.
Les non-actuaires auront de nouvelles possibilités d’examiner les résultats du travail des actuaires. Il est vrai que les outils d’IA ne sont en fait que des outils sophistiqués de couplage de modèles, mais il y a beaucoup de modèles dans le travail que produisent les actuaires. Les secteurs dans lesquels travaillent les actuaires feront l’objet d’une surveillance encore plus serrée et d’une plus grande transparence étant donné qu’on sera en plus grand nombre en mesure d’analyser leur travail. Les médias recrutent des « journalistes informatiques ». Il s’agit de véritables scientifiques des données qui recourent à des modèles d’analytique avancée et à l’IA pour trouver des sujets d’articles intéressants. Ils examineront les régimes d’assurance et de retraite. Les entreprises et les secteurs d’activités pourraient être exposés à un risque accru d’atteinte à la réputation.
Q : Pourquoi est-il important pour vous de vous engager dans cette initiative?
R : Pour deux raisons. D’abord, l’IA est un domaine amusant, stimulant, créatif et d’avant-garde. Deuxièmement, comme je l’ai déjà dit, je crois que l’IA aura un effet important sur notre profession. Jim Doherty, un de mes anciens patrons et fervent bénévole de l’ICA, a déjà affirmé très clairement qu’il incombait à tous les actuaires de soutenir la profession. Pour moi, le fait de prendre part aux activités du groupe de travail sur l’IA de AAI et de présider la Commission sur la modélisation prédictive de l’ICA sont d’excellentes occasions de faire quelque chose de nouveau et de servir la profession.
*Note de bas de page : Un mot au sujet des photos générées par l’IA
À des fins de divertissement, Bernice Lim et Tim Bishop ont fourni une photo d’eux produite par l’IA (la photo originale est à la gauche et la photo générée par intelligence artificielle est à la droite). La différence est-elle radicale? Dans un prochain article abordant la façon dont les actuaires peuvent s’engager en matière d’IA, Voir au-delà du risque mettra en vedette Matt Bartley et moi-même.
Jing Lang, FICA, est présidente de Deepwork Academy et anime le balado Be Brilliant.